Salah Saadaoui, le prince de Barbès

Salah Saadaoui est l’une des figures les plus importantes de la chanson de l’immigration algérienne en France dans la seconde partie du XXe siècle. Né en 1936 dans la petite commune de Tamelaht en Kabylie, Salah grandit à Alger dès le retour de son père, émigré en France. C’est dans une chorale de la Casbah qu’il fait la connaissance de celui qui sera le grand ordonnateur de la scène musicale de l’immigration au cours des années cinquante et soixante, le célèbre Amraoui Missoum.

Comme son père avant lui, il part pour s’exiler en 1954 et occuper un poste de manœuvre dans une usine. C’est à cette occasion qu’il retrouve son ami Missoum qui l’engage pour des tournées dans les cafés nord-africains de Paris comme choriste et musicien. Il y côtoie ainsi Chérif Kheddam, Akli Yahiaten et Kamel Hamadi avec qui il fera les beaux jours de la chanson algérienne. Frère de Hamou, comédien et marionnettiste algérien, il participe avec lui à la tournée de la troupe artistique du FLN dans les pays de l’Est, qui a pour objectif de sensibiliser l’opinion à la cause des nationalistes algériens.

Après 1962, il décide de rester en France. Le thème central de ses chansons reste l’exil et ses errements. Usant de l’humour mais maniant également la morale, il chante aussi bien en arabe, qu’en français ou en amazigh. Ainsi, ses chansons Tiercé, Soukarji (Alcoolique) et Ya ouled el Ghorba (chers enfants de l’exil) illustrent les dérives auxquelles se laissent aller les immigrés de France. De la chanson comique comme Alach François khire meni (Pourquoi François serait-il mieux que moi ?) ou des sketches en compagnie de Cheikh Nordine et Kaci Tizi Ouzou, Salah Saadaoui a su illustrer le quotidien de ses compagnons d’exil. Il est également l’auteur de chansons patriotiques comme Ana el Djazaïri (Moi l’Algérien) où il réaffirme la fierté se ses origines. Au cours de la décennie soixante-dix, il chante avec force le désir de rentrer au pays pour les immigrés déçus de leur vie en France. Une chanson emblématique chantée en français comme Déménagement, dénonce les conditions faites aux immigrés au cours d’une décennie marquée par les attentats racistes motivés par la crise économique.

Le grand artiste invite également ses compatriotes à rentrer au pays avec Mel ghorba Berkani (L’exil, ça suffit) ou Bka alakheir ya França (Au revoir la France). Retour auquel il ne se résout pas lui-même, bien au contraire puisqu’il est au cœur de la vie culturelle de l’immigration : il organise de nombreux tours de chants, toujours avec la complicité de Amraoui Missoum ou plus tard de Kamel Hamadi. Dans les années soixante, il est à la tête du cabaret L’Oasis dans le 11e arrondissement de Paris où il anime les soirées du mois de Ramadan en faisant venir du pays les principales vedettes du moment comme Rabah Driassa ou Mohamed Lamari. El Ghalia, son épouse de 1963 à 1974, est aussi l’une de ses interprètes favorites : il lui écrit Djabni l’França (il m’a emmené en France), Ya tayara Tiribia (Oh Avion! ramène-moi!) et Babour França (Le bateau pour la France), donnant voix à l’exil au féminin.

Il n’est jamais loin des productions de disques qui se font à Barbès et finit par créer sa maison d’édition discographique Sadaoui Phone. En 1967, il participe en tant que directeur artistique au tournage de scopitones mettant en scène les chanteurs maghrébins de l’exil, pour le compte de la Cinématic, un des deux leaders dans l’édition de scopitones arabes. Plus tard, il ouvre son magasin de disque Boulevard de la Chapelle à Paris, tenu aujourd’hui par son fils. L’homme-orchestre de la chanson de l’exil s’éteint le 10 mai 2005 à l’âge de 69 ans des suites d’une longue maladie.    

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A propos Naïma Yahi

Directrice de Pangée Network
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