Farid Boudjellal, la BD de l’immigration

Farid Boudjellal est un artiste reconnu dans le milieu de la bande dessinée en France. D’un père algérien né en Turquie d’une mère arménienne, il passera son enfance à Toulon pendant la guerre d’Algérie. Influencé par ses lectures des revues de BD Blek le Rock ou Kiwi, il se lancera au cours des années soixante-dix, dans la bande dessinée. Son parcours est intéressant à plusieurs niveaux : en effet, ses origines algériennes et arméniennes ont influencées son travail artistique.  Sa première bande dessinée, Les soirées d’Abdulah, ratonnade (1978), narre le quotidien sordide d’Abdulah, sujet au racisme à l’injustice et à la solitude. Les premières planches avaient été publiées précédemment dans les mensuels de BD Circus et Charlie Mensuel.  La tonalité de cet album ainsi que l’humour noir des dialogues sont inédits dans l’édition française. Faisant partie du collectif Anita Comix, il collaborera par la suite à des journaux comme L’Echo des savanes, Zoulou et Baraka. À la fin des années quatre-vingt, sa trilogie de la famille Slimani, (L’oud, le Gourbi, Ramadan,) inspirera la sitcom La famille Ramdam, sur une famille d’immigrés algériens dans la région parisienne et pour laquelle il sera scénariste. En 1990, sort Juif-Arabe, premier album évoquant avec humour le conflit israélo-arabe. Il transformera l’essai en s’attaquant à d’autres sujets brûlant : Intégristes et Juif-Arabe : Conférence Internationale toujours sur la question du conflit israélo-palestinien qui reçoit le Prix d’actualité 91. Suit une série d’albums sur les « manies des Français et des émigrés », dont le premier tome Français, parait en 1992. Jambon-beur lui est primé au festival de Hyères 1995. Celui qui fut touché par la polio à l’âge de huit ans, aura à cœur de mettre en scène un récit d’inspiration autobiographique : Le petit polio (1998), enfant pendant la guerre d’Algérie. Il scénarise également de nombreux albums : avec Larbi Mechkour, il réalise Les Beurs (1984), où sur un ton plus léger, les deux comparses s’intéressent aux enfants de l’immigration algérienne. Plus récemment, il scénarise l’album de Jollet, Etnik ta mère (1996) et en 2005, Les contes du djinn : Hadj Moussa de Leïla Leïz. Il est, à l’occasion, également illustrateur : on lui doit, dans les années quatre-vingt, l’affiche de France +, association incitant les jeunes d’origines immigrées à s’inscrire sur les listes électorales, mais également des affiches de film comme celle du long-métrage Le gône du chaaba (1997) de Christophe Ruggia adapté du roman éponyme d’Azouz Begag. Ci dessous un extrait d’une interview que j’ai réalisé pour Confluences Méditerranée          (N°54)  en 2005:

Nous avons rencontré Farid Boudjellal le 11 octobre 2004 dans son atelier du XXe arrondissement, à la veille d’une actualité chargée pour 2005, avec la réédition de la bande dessinée « les Beurs » co-réalisé avec Larbi Mechkour dans les années 80 sous le titre, « Les folles années de l’immigration » .

Farid Boudjellal, qui êtes-vous ?

Je suis avant tout moi-même. Je suis issu de différentes cultures. Mon père  est né en Turquie, d’un père algérien et d’une mère arménienne. J’ai été élevé dans la religion chrétienne ainsi que musulmane, et je suis moi-même né à Toulon. Ma personnalité s’est forgée de toutes ces différences et m’a permise d’acquérir une curiosité du monde, une vision fraternelle des religions qui véhicule toutes le même message : celui du pardon. Concernant mes origines, j’ai appris à l’âge de 28 ans que j’étais un « Beur » ! Ca n’a pas vraiment changé ma perception des choses… dirons nous que j’ai pu prendre du recul par rapport à cette identité. Je suis né en 1953, j’ai pu joué de ça dans mes Bandes Dessinées. Quand j’ai publié « l’Oud »3, c’était dans l’air du temps mais ce n’est pas pour cette raison que j’ai abordé l’histoire de la famille Slimani. Ma motivation première était de témoigner d’une présence, de la présence de l’immigration algérienne en France avec ses spécificités.

Quelles sont vos influences ?

Je suis de culture ouvrière, celle de mes parents, autant dans mes dessins que dans mes textes. Mon père nous ramenait des revues BD comme Kiwi ou Black le Roc. Cela a bercé mon enfance ainsi que celle de mon petit frère. Notre père nous a vraiment initié à la BD et j’ai toujours voulu par la suite en faire mon métier.

Comment en êtes-vous arrivé à publier ?

Ce sont les éditions Glénat qui m’ont  découvert, j’ai publié mes premiers comics dans « Circus », c’était « les soirées d’Abdulah », une BD sur un immigré de la première génération qui souffre du racisme au quotidien. Je m’étais approprié tout le vocabulaire d’insulte « Bicot, raton…. » et j’ai voulu le vider de son sens, exprimer la violence du racisme à travers un humour que je voulais caustique, depuis je me suis apaisé. J’ai ensuite abordé différents thèmes de notre culture, comme le ramadan, l’acculturation en France… Tout ça à travers l’autodérision, c’était une nouveauté pour nous. Aujourd’hui cela paraît un peu plus logique mais à la fin des années 1970, ce n’était pas aisé.

Comment a été perçue  votre œuvre dans la communauté algérienne ?

On m’a un peu reproché, notamment dans « l’Oud », de ne pas donner une image positive de l’immigré, mais je ne suis pas un militant anti-raciste, comme je vous l’ai dit précédemment, je suis dans une logique de présence, d’expression, et je crois que toutes notre génération d’artiste d’origine algérienne  s’est  positionnée de la sorte, tel Mehdi Charef, Azouz Begag… ces auteurs des années 1980. Nous voulions ouvrir un champ d’expression, de représentation. Aussi, je pense que les prochaines générations issues de notre communauté auront plus de latitude pour vraiment créer des chefs d’œuvres. Nous, nous n’étions que les détonateurs nécessaires à l’expression des jeunes issus de l’immigration algérienne. Nous avions un message à donner, une parole à prendre. Nous avions une responsabilité qui ne nous permettait pas de ne produire que de l’art, nous avons eu ce combat à mener.

Dans votre premier album, vous nous parlez d’Abdulah, issu des premiers immigrés qui sont venus s’installer en France après la Guerre d’Algérie, ensuite avec « les beurs », vous abordez la vie de leurs enfants… Pourquoi l’album sur Abdulah parait plus grave, plus violent que « les beurs » qui sont traités sur le mode de l’humour ?

Mon premier album est l’expression d’un traumatisme. Je me suis ensuite réconcilié avec les choses. Une fois que j’ai  eu  exorcisé les mots racistes et dénoncé les non-dits. L’album « Les Beurs » que j’ai publié avec Larbi Mechkour, c’est un album tout public, c’était un mélange de 1001 nuits, de banlieue. C’est un témoignage de ces années-là, des années 1980. J’ai collaboré à de nombreuses affiches, par exemple pour Convergence 844,  des articles… On avait besoin de témoigner de notre existence, on se posait beaucoup la question du retour, on vivait dans ce mythe de revenir sur la terre de nos origines. A l’époque, j’ai pensé sérieusement à m’installer en Algérie.  Nous avons hérité de la nostalgie de nos parents. Et puis, il y avait la politique du million5 … Les immigrés n’étaient plus indispensables à la société française, alors pour moi, il fallait affirmer notre présence ou partir.

Vous êtes l’un des rare à voir mis en avant la figure de l’immigré, de l’ouvrier célibataire de la première génération…

Oui mais, dès mon album « l’Oud » je représente assez vite la réalité culturelle qui oppose les deux générations : j’ai voulu étudier l’évolution de la famille Slimani avec ses contradictions, ses joies et ses doutes. Tout est dit quand le jeune personnage dit à son père qu’il croyait que Mahomet était mort crucifié sur une croix ! La transmission de la religion et de la culture se brouille avec une installation plus sédentaire en France.  A travers la saga de cette famille j’ai voulu montrer un aspect positif du phénomène de l’immigration. Les Slimani sont comme les autres familles, ni plus, ni moins.

  Avez-vous conscience d’être un précurseur dans la littérature de l’immigration algérienne ?

 Sur le moment, non. Mais avec le recul, je suis le premier enfant d’immigré algérien à avoir été publié, d’abord dans la presse et ensuite avec ma première BD… Mais lors d’un atelier de BD que j’animais dans une école, un enfant m’a demandé si mon nom était « Rebeu6 », je lui ai répondu que oui et il m’a dit que je ne pouvais pas l’être car « un Rebeu ne publie pas de livre ». J’ai compris ce jour là l’image désastreuse que ces jeunes avaient d’eux même.

Vous avez aussi participé à la première fiction télévisuelle d’un sitcom mettant en scène une famille algérienne, « la famille Ramdam… »7

Effectivement, c’est Aïssa Djebri et son associé de Vertigo Production qui m’ont sollicité. Ils appréciaient les scénarios de mes bandes dessinées et m’ont demandé alors de scénariser quelques épisodes. J’ai pu aborder de ce fait à nouveau des thèmes qui nous sont propres : le port du voile à l’école, le ramadan… Le premier épisode qui a été retenu c’est le « Noël des Ramdam ».Cette épisode mettait l’accent sur la culture partagée avec la France, l’illustration de plusieurs cultures, un bel exemple d’acculturation en somme.

Avec votre série du « Petit Polio »8, vous revenez à un récit un peu plus autobiographique…Pourquoi revenir si tardivement sur la question de la guerre d’Algérie ?

De nombreux faits proviennent de ma mémoire de la Guerre d’Algérie à Toulon. J’évoque dans cette série les souvenirs difficiles de mon enfance. Pour moi c’était important de revenir là-dessus, d’expliquer cela aux enfants. Le récit n’était pas aussi propice pour moi dans d’autres publications car ces souvenirs sont attachés à mon vécu d’enfant. La génération des Beurs n’a pas forcément connu cette période. Le petit polio, j’y ai mis beaucoup de mon propre vécu.

Note :

  1. Boudjellal Farid, « Les soirées d’Abdulah, ratonnade », Futuropolis, Paris 1985.
  2. Boudjellal Farid, Mechkour Larbi, « Les Beurs », L’écho des savanes, Albin Michel, Paris 1985.
  3. Boudjellal Farid, « L’Oud », Futuropolis, Paris 1983.
  4. Convergence 84, est le nom de la seconde Marche des beurs dont le principe était de converger en Mobylette vers Paris avec un réseau de ville étape pour revendiquer l’égalité des droits et le droit à la différence pour les populations immigrés.
  5. Le million Stoléru : la loi Stoléru proposait aux immigrés volontaires de bénéficier d’une prime d’aide au retour de 10000 francs.
  6. « Rebeu » : ce mot est issu de l’argot qui signifie Arabe en « Verlan » c’est-à-dire à l’envers.
  7. « La famille Ramdam » : Sitcom diffusé sur M6 en 1990 mettant en scène le quotidien d’une famille d’origine algérienne en France.
  8. Boudjellal Farid, « Le petit Polio », Editions Soleil, Toulon 1988.
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Mahieddine Bachtarzi, le Caruso du désert

Né le 15 décembre 1897, Mahieddine Bachtarzi est issu de l’une des plus vielles familles d’Alger, descendante directe des Turcs, comme c’est le cas pour la famille Bestandji, autre famille de musicien.

Pétri d’une éducation musulmane traditionnelle reçue à la mosquée de Bab el Oued à Alger, celui qui deviendra Bach Hazzab autrement dit chef des lecteurs dès ses 14 ans, psalmodie le coran lors des prières rituelles journalières de sa voie chaude et limpide. Notre ténor incarne à lui seul le grand siècle culturel algérien alors en pleine tourmente coloniale.

Le ténor est également l’inventeur du théâtre algérien aux côtés du comique Rachid Ksentini et de l’acteur Allaoua, il fut le directeur artistique de l’Opéra d’Alger pendant de nombreuses années, et l’animateur infatigable des troupes artistiques du Maghreb. Ce palmarès n’exempte par Mahieddine Bachtarzi d’être un inconnu des archives. Si le mérite en vient à l’historienne de l’art Dounia Bouzar-Kasbadji d’avoir mis en valeur le grand homme dans ses travaux, les indices ont longtemps été lacunaires pour une si grande carrière. Dans le cadre de la préparation de l’exposition « Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France », je n’ai pu que m’intéresser à ce personnage pluriel mais secret du fait même de l’absence d’archives mobilisées pour évoquer son parcours et mesurer aujourd’hui l’apport culturel et artistique des populations maghrébines en France.

 À la fois francophile et nationaliste, inscrit dans le sillage des nationalistes qui finiront par demander l’indépendance, le « Caruso du désert », surnom donné par la presse française d’alors, est tiraillé toute sa vie par cette ambivalence.

Dans le « recueil de chanson Mahieddine » publié en 1937, le regretté Claude Liauzu[1] avait mis en exergue sa chanson « Maarefnache Ache men reriq Nakdou » (Nous ne savons quelle voie prendre ), interdite pour la teneur politique de ses propos :

« Plus de cent ans que le colon accuse / L’Arabe d’être ignare et imbécile, Mais quand tu cherche à apprendre il rit(….) Il est chez lui dans ton pays, et dans ton pays c’est toi l’étranger ».

Si le texte de cette chanson ne laisse aucune place au doute sur ses opinions, c’est pourtant le même Mahieddine qui écrit des hymnes à la gloire du front populaire ou qui traduit la Marseillaise en arabe …

Cet attachement à la France et à sa culture côtoie le sentiment d’injustice qui traverse son œuvre. Reconnu par ses pairs comme étant le premier musulman disait-on à adhérer à la SACEM en 1929 – comme en atteste son dossier d’admission -, on retrouve sa trace au sein des archives de la SACD pour ses nombreuses représentations théâtrales. La création à Paris de sa pièce de théâtre intitulée « Phaqo » en 1939 –  ce qui signifie « Prenez conscience »-, exhorte ses compatriotes en exil à défendre leur identité algérienne et combattre le poids injuste du système colonial.

S’il entretient des rapports amicaux avec quelques intellectuels français comme Jean Cocteau [2], il collabore majoritairement avec des intellectuels et des artistes maghrébins, notamment le recteur de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit.  Également diplomate et écrivain à ses heures, il invite Mahieddine à participer à sa pièce « La ruse de l’homme », donnée en représentation de Gala au théâtre de la Madeleine en l’honneur du sultan du Maroc Moulay Youssef comme le rapporte un article du Figaro daté du 22 juillet 1926.

Il faut rappeler que sa carrière musicale et théâtrale démarre dès les années 1920 sous la tutelle de son maître de chant arabo-andalou, le juif algérien Edmond Nathan Yafil, alors à la tête de la troupe el Moutribia. En s’appuyant sur les seules mémoires de Mahieddine, on découvre la chronologie de sa vie d’artiste mais également l’évolution de son cheminement personnel vers l’autonomie des Algériens. Avec cette entrée en matière, je découvre au gré de mes rencontres et de mes recherches un fabuleux destin.

Tout commence par ma rencontre avec le « dernier des Mohicans » : l’acteur et chanteur Habib Reda. Beau-frère du ténor mais également ancien de la troupe Mahieddine, le fringant monsieur de 93 ans vit aux Etats unis depuis de nombreuses années. C’est lui qui m’ouvrira la boîte aux trésors des archives de Mahieddine conservée jusqu’alors sur les hauteurs d’Alger dans une villa vide de ses occupants. Le maître avait le sens de l’histoire : conservateur et visionnaire, il a laissé à l’historien de nombreux indices sur sa vie personnelle et artistique : les programmes de ses tournées, des partitions, des photos, ses correspondances personnelles…. Traducteur de Molière en arabe, bienfaiteur des associations étudiantes musulmanes de France, on découvre encore le carton d’invitation pour l’inauguration de la mosquée de Paris le 15 juillet 1926, lors de laquelle il chantera le premier appel à la prière dans les rues de Paris…. Les archives à ce moment précis me font toucher du doigt toute la richesse de son parcours : directeur artistique des catalogues de musique arabe de Gramophone, il découvre de nouveaux talents comme le comique troupier Mohamed  el Kamal. Ennuyé par la censure, on retrouve les correspondances portant sur la défense de ses œuvres, mais aussi la transcription phonétique de ses textes arabes en lettres latines.

Concernant sa carrière cinématographique, c’est dans Sérénade à Meriem de Norbert Gernolle en 1947 ou dans Kenzi de Vicky Ivernel l’année suivante, qu’ils s’imposent dans ces comédies musicales en arabe produites par l’actrice Simone Berriau, disponibles dans les archives du CNC. C’est encore de manière fortuite que le réalisateur Mustapha Hasnaoui finit par me faire visionner une archive de la Fox datant de 1926, intitulé « Arabian orchestra » : quelle ne fut pas mon émotion quand je vis le visage poupin du ténor entouré de son maître Yafil, sur les auteurs de Nice lors de sa toute première tournée en France…

Le faisceau de ces indices me permet alors de corroborer certains passages de ses mémoires mais également de donner chair à l’aventure artistique maghrébine en France, puisque l’Algérien collabore avec les figures artistiques des trois pays, à l’instar du chanteur de charme Ali Riahi, comme en atteste leur correspondance.

Pendant la guerre d’Algérie, sa francophilie, ses relations avec les hommes de Messali auront raison de sa position de pionnier du militantisme artistique en faveur de l’indépendance, auprès des hommes fort du FLN. On lui préfère le comédien Mustapha Kateb pour diriger la troupe artistique du FLN qui entre dans la clandestinité en s’installant à Tunis. Il poursuit sa carrière après l’indépendance en Algérie, à travers des spectacles et ses activités dans les écoles de musique. Le Maître meurt le 6 février 1986 en laissant derrière lui de nombreux disciples, une école algérienne de musique arabo-andalouse de qualité, une vie artistique maghrébine en France enracinée et le souvenir d’un parcours hors du commun.


[1] Claude et Josette Liauzu, « Quand on chantait les colonies », éditions Syllepse, Paris, Mai 2002.

[2] Jean Cocteau, Le romancier, Gallimard / NRF, 1980.

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Slimane Azem, le fabuliste de l’exil

Slimane Azem est né en 1918, dans une famille de condition modeste au cœur des montagnes du Djurdjura. À l’âge de douze ans, il commence à travailler dans la ferme d’un colon. Il prend le chemin de la France en 1937 comme de nombreux kabyles à la recherche d’une vie meilleure. Il travaille alors deux ans dans une aciérie de Longwy, puis est mobilisé à Issoudun. Réformé en 1940, c’est dans la capitale qu’il s’installe et travaille dans le métro qu’il chantera plus tard dans ses complaintes sur l’exil. Réquisitionné pour le STO (Service du Travail Obligatoire), il connaît les camps de travail de la Rhénanie de 1942 à 1945.

Slimane Azem en compagnie de Kamel Hamadi

De retour à Paris à la Libération, il tient un café dans le 15e arrondissement où il se produit pour la première fois. Une rencontre essentielle change alors le cours de sa vie : le célèbre Mohamed El Kamal, chanteur de l’immigration et spécialiste du jazz, le voit se produire, accompagné d’un petit orchestre amateur, et l’encourage à composer ses propres chansons. Il lui permet de faire ses premières scènes dans son groupe alors en tournée à la fin des années quarante. Après avoir enregistré sa première chanson « A Moh A Moh » en 1951, complainte sur l’exil adressée au poète kabyle Si Mohand u Mhand,  Madame Sauviat, seule disquaire spécialisée de l’époque, le présente à Ahmed Hachlaf, directeur artistique du catalogue arabe de Pathé-Marconi. C’est le début d’une longue carrière. Inquiété par la censure pour sa chanson « Affagh aya jrad » (Sauterelles quittez mon pays !), il n’en est pas moins banni d’Algérie après 1962 pour ne pas avoir coupé les ponts avec sa famille, engagée auprès de la France pendant la guerre.

Ce drame personnel marque sa production musicale qui tourne autour de plusieurs thèmes : l’exil bien évidemment (A rebbi Kec D AmaiwenLes oiseaux migrateurs) mais également la bonne morale (Berka yi tissis n ccrab – Que je cesse de boire du vin), la tradition ou la nostalgie (Algérie mon beau pays). À la même époque, il est à l’origine de nombreux sketchs comiques avec son comparse Cheikh Nordine comme dans Madame encore à boire ! chanté en français et en tamazight. Celui qui a rempli l’Olympia est considéré avec Cheikh El Hasnaoui comme le père de la chanson kabyle de l’exil. En 1971, il reçoit, en compagnie de la chanteuse Noura, le premier disque d’or remis à un artiste algérien en France. Au cours des années soixante-dix, il s’installe à Moissac et s’adonne à la culture de figuiers, bourgade qui lui rappelle sa Kabylie natale.  Il meurt en janvier 1982, sans jamais avoir revu l’Algérie.

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Salah Saadaoui, le prince de Barbès

Salah Saadaoui est l’une des figures les plus importantes de la chanson de l’immigration algérienne en France dans la seconde partie du XXe siècle. Né en 1936 dans la petite commune de Tamelaht en Kabylie, Salah grandit à Alger dès le retour de son père, émigré en France. C’est dans une chorale de la Casbah qu’il fait la connaissance de celui qui sera le grand ordonnateur de la scène musicale de l’immigration au cours des années cinquante et soixante, le célèbre Amraoui Missoum.

Comme son père avant lui, il part pour s’exiler en 1954 et occuper un poste de manœuvre dans une usine. C’est à cette occasion qu’il retrouve son ami Missoum qui l’engage pour des tournées dans les cafés nord-africains de Paris comme choriste et musicien. Il y côtoie ainsi Chérif Kheddam, Akli Yahiaten et Kamel Hamadi avec qui il fera les beaux jours de la chanson algérienne. Frère de Hamou, comédien et marionnettiste algérien, il participe avec lui à la tournée de la troupe artistique du FLN dans les pays de l’Est, qui a pour objectif de sensibiliser l’opinion à la cause des nationalistes algériens.

Après 1962, il décide de rester en France. Le thème central de ses chansons reste l’exil et ses errements. Usant de l’humour mais maniant également la morale, il chante aussi bien en arabe, qu’en français ou en amazigh. Ainsi, ses chansons Tiercé, Soukarji (Alcoolique) et Ya ouled el Ghorba (chers enfants de l’exil) illustrent les dérives auxquelles se laissent aller les immigrés de France. De la chanson comique comme Alach François khire meni (Pourquoi François serait-il mieux que moi ?) ou des sketches en compagnie de Cheikh Nordine et Kaci Tizi Ouzou, Salah Saadaoui a su illustrer le quotidien de ses compagnons d’exil. Il est également l’auteur de chansons patriotiques comme Ana el Djazaïri (Moi l’Algérien) où il réaffirme la fierté se ses origines. Au cours de la décennie soixante-dix, il chante avec force le désir de rentrer au pays pour les immigrés déçus de leur vie en France. Une chanson emblématique chantée en français comme Déménagement, dénonce les conditions faites aux immigrés au cours d’une décennie marquée par les attentats racistes motivés par la crise économique.

Le grand artiste invite également ses compatriotes à rentrer au pays avec Mel ghorba Berkani (L’exil, ça suffit) ou Bka alakheir ya França (Au revoir la France). Retour auquel il ne se résout pas lui-même, bien au contraire puisqu’il est au cœur de la vie culturelle de l’immigration : il organise de nombreux tours de chants, toujours avec la complicité de Amraoui Missoum ou plus tard de Kamel Hamadi. Dans les années soixante, il est à la tête du cabaret L’Oasis dans le 11e arrondissement de Paris où il anime les soirées du mois de Ramadan en faisant venir du pays les principales vedettes du moment comme Rabah Driassa ou Mohamed Lamari. El Ghalia, son épouse de 1963 à 1974, est aussi l’une de ses interprètes favorites : il lui écrit Djabni l’França (il m’a emmené en France), Ya tayara Tiribia (Oh Avion! ramène-moi!) et Babour França (Le bateau pour la France), donnant voix à l’exil au féminin.

Il n’est jamais loin des productions de disques qui se font à Barbès et finit par créer sa maison d’édition discographique Sadaoui Phone. En 1967, il participe en tant que directeur artistique au tournage de scopitones mettant en scène les chanteurs maghrébins de l’exil, pour le compte de la Cinématic, un des deux leaders dans l’édition de scopitones arabes. Plus tard, il ouvre son magasin de disque Boulevard de la Chapelle à Paris, tenu aujourd’hui par son fils. L’homme-orchestre de la chanson de l’exil s’éteint le 10 mai 2005 à l’âge de 69 ans des suites d’une longue maladie.    

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Kateb Yacine et son étoile

Celui qui révolutionne la littérature algérienne de langue française est né le 6 août 1929, à Constantine. D’un père Oukil (homme de loi en droit musulman), Kateb Yacine semble voué par la signification même de son nom en langue arabe à un destin d’écrivain. Issu d’une lignée de lettrés, l’enfant passe, par décision paternelle, de l’école coranique à l’école française, blessure linguistique identitaire qui marque la vie et l’œuvre de l’écrivain. Sa vocation  de Kateb s’est véritablement révélée dans la violence de la répression sanglante de la manifestation du 8 Mai 1945, à Sétif.

Arrêté pour y avoir participé, le jeune collégien d’alors vit l’expérience carcérale comme épreuve initiatique au poétique et au politique désormais indissolublement liés. Exclu du collège de Sétif, son père l’envoie dans un lycée de Bône (Annaba aujourd’hui). Il y rencontre Nedjma (l’étoile), une « cousine déjà mariée », avec qui il vit « peut-être huit mois » avoue t-il. A la même époque, il se politise et commence à faire des conférences sous l’égide du Parti du Peuple Algérien de Messali Hadj. Le jeune homme se forge sa culture révolutionnaire et dévore l’oeuvre de Baudelaire ou de Malador. Ses pas le mènent à Alger où, proche des milieux communistes, il intègre comme journaliste Alger républicain comme avant lui  Albert Camus ou son compatriote l’écrivain Mohammed Dib. En 1947, Kateb arrive à Paris, la mort de son père et la folie de sa mère le poussent à se « jeter dans la gueule du loup » comme il aime à le dire à propos de la France où  il n’exclut pas de percer dans le monde de la littérature. Introduit dans les milieux littéraires parisiens, il commence à publier dans Les Lettres françaises et Le Mercure de France, avec notamment « Nedjma ou le poème ou le couteau » en 1948, prélude de son œuvre majeure, « Nedjma » publiée au seuil en 1956.

Celui qui a côtoyé Bertold Brecht à Paris, développe également son œuvre théâtrale avec « Le cadavre encerclé » en 1955 publié en pleine guerre d’Algérie par la revue Esprit, pièce qui est ensuite jouée sur scène par l’avant-gardiste Jean-Marie Serreau. Après l’indépendance, il poursuit son œuvre avec la publication de son second roman, « Le polygone étoilé » (1966), avant de visiter plusieurs fois le Vietnam de 1967 à 1970, qui lui inspire sa pièce, « L’homme aux sandales de caoutchouc », sur la personnalité d’Hô Chi Minh. Après 1962, Kateb Yacine est de retour en Algérie peu après les fêtes de l’Indépendance, et y reprend sa collaboration à Alger républicain, avant de repartir en 1963 en France tandis que « La femme sauvage », qu’il écrit entre 1954 et 1959, est représentée à Paris en 1963. Il publie également « Les Ancêtres redoublent de férocité » en 1967, et « La Poudre d’intelligence » en 1968 (jouée en arabe dialectal en 1969 à Alger).

Au tournant des années soixante-dix, celui qui vit comme une aliénation le fait d’écrire en français, commence à travailler à l’élaboration d’un théâtre populaire et satirique, joué en arabe dialectal. Débutant avec la troupe du Théâtre de la Mer de Bab-el-Oued en 1971, prise en charge par le ministère du Travail et des Affaires sociales, Kateb parcourt avec elle pendant cinq ans toute l’Algérie devant un public d’ouvriers, de paysans et d’étudiants. Sa principale création a pour titre « Mohamed prends ta valise » (1971), une pièce à destination des immigrés et dénonçant les politiques de quotas franco-algériens : l’immigré pour l’auteur n’y serait considéré que comme une chair à canon du développement économique. Sa production théâtrale est très riche à l’époque : « La Voix des femmes » (1972), « La Guerre de deux mille ans » (1974) (en référence à Kahena, reine des Berbères) (1974), « Le Roi de l’Ouest « (1975) (contre Hassan II), et « Palestine trahie » (1977) en soutien au peuple palestinien. Entre 1972 et 1975, Kateb accompagne les tournées de « Mohamed prends ta valise » et de « La Guerre de deux mille ans » en France auprès des travailleurs immigrés. Instruit dans la langue du colonisateur, Kateb Yacine considérait la langue française comme le « Tribut de guerre » des Algériens.

« La francophonie est une machine politique néocoloniale, qui ne fait que perpétuer notre aliénation, mais l’usage de la langue française ne signifie pas qu’on soit l’agent d’une puissance étrangère, et j’écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas français »[1], déclarait-il en 1966. Kateb Yacine se pose ainsi comme un écrivain de la révolution algérienne éduquée à l’école française coloniale, et  peu de temps avant de mourir, admirateur de Robespierre, il participe aux célébrations du bicentenaire de la Révolution française avec Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc monceau en 1989. Il meurt à Grenoble le 28 Octobre 1989 des suites d’une longue maladie.


[1] Voir Kateb Yacine, Le poète comme un boxeur, 1958-1989, Paris, Seuil, 1994.

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Vigon, le Rhythm’ and Blues marocain

Rien ne destine le jeune Abdelghafour Mohcine à devenir Vigon, prince du Rythm and Blues français de 1965 à 1973. Né à Rabat au cours des années quarante, l’enfant de la médina quitte assez jeune l’école pour accompagner son père sur les routes de la capitale soussi, vendeur de légume ambulant.

Comme d’autres enfants de son âge, il est fasciné par les soldats des bases américaines, ou il travaillera à l’âge de l’adolescence. Très vite, il s’y rend chaque samedi et s’y produit pour quelques sous en reprenant les standards de ses idoles, Little Richard et Ray Charles.

C’est en phonétique que Vigon interprète Tutti frutti ou Georgia on my mind, ne comprenant alors pas l’anglais. Il développe pourtant un Rythm and blues exceptionnel et se révèle à lui-même : il veut en faire son métier. Au début des années soixante, alors que la France est saisi de la fièvre rock et que la génération yéyé triomphe, il tente sa chance lors d’un séjour de vacances et se présente au mythique Golf Drouot où toutes les stars de la scène yéyé ont débuté. Il se produit aux côtés de Ronnie Bird puis des Slivers stars du tout jeune débutant Alain Chamfort. C’est le début d’une carrière fulgurante. Très vite, il se met à tourner avec Les Lemons de Michel Jonasz dans les grandes boites parisiennes : dès 1964, il côtoit Les Who ou le Spencer Davis group au Bus palladium ou au Bilboquet.

Vigon connaît alors le succès avec « Bama lama bama loo » (1965) puis fait la première partie d’Otis Redding en 1966 à la salle de l’Olympia. Il démarre ensuite une carrière solo qui lui vaut d’assurer la première partie de Johnny Hallyday lors de sa tournée le Johnny Circus en 1972. Il sort de nombreux disques chez Barclay : la reprise du « Harlem Shuffle » (1967) de James Brown lui permet d’être remarqué par Atlantic, la maison de disque du RNB, chez qui il enregistre « It’s all over » en 1968. Il ne chante qu’en anglais à l’exception de la reprise en arabe de son titre « Only a fool » (1971) adapté en arabe sous le titre de « Alhoub el kébir » (le grand amour).
La décennie soixante-dix met fin aux années yéyé et consacre la musique psychédélique et disco : Vigon, fidèle au Rhythm and blues se retire de scène. Il rentre au Maroc en 1979 pour se produire dans des hôtels et des complexes touristiques. Il rentre à Paris en 2000 et se produit aujourd’hui dans un restaurant parisien.

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Kamel Hamadi, le poète prolifique

Né le 22 décembre 1936 à Aït Daoud (ex-Michelet en Grande Kabylie), Kamel Hamadi, de son vrai nom Larbi Zeggane, est l’un des plus grands auteurs-compositeurs-interprètes de l’immigration algérienne en France.

A la fin des années 40, cet ancien tailleur voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec Slimane Azem, maître de la chanson kabyle, qui lui donne « envie de chanter ». Il commence par écrire des poèmes : au fil des rencontres, il sera recruté par Radio Alger qu’il intègre à l’age de 17 ans. Da Kamel enregistre de nombreuses opérettes, ainsi que plusieurs émissions enfantines. Il y fera la connaissance de Noura, qui chante régulièrement accompagnée de l’orchestre de Mustapha Skandrani. Ils feront tous les deux le voyage pour Paris en 1959 à l’occasion d’une série d’enregistrements pour la maison de disque Teppaz. A cette occasion, il fera des essais pour les émissions spécifiques de Radio Paris. C’est une fois rentré à Alger qu’après un mois d’attente, il reçoit un courrier l’invitant à rejoindre la Radio où opère déjà Ahmed Hachlaf. Il épouse la même année Noura, celle qui sera sa muse et aussi la plus grande chanteuse algérienne de la prochaine décennie. D’autres maisons de disque feront appel à lui : Oasis, La Voix du globe ou même Philips. C’est surtout avec les frères Hachlaf qu’il développe sa carrière en France. Avec Ahmed, il travaille pour Pathé Marconi et avec El Habib, il collabore aux plus belles chansons de son épouse. Ce duo d’auteurs compositeurs est à l’origine de Ya Rabi Sidi, (Oh mon Dieu) adaptation d’une chanson traditionnelle sur le départ d’un fils pour la France, restée gravée dans la mémoire des chansons de l’exil.

Au service de nombreux chanteurs maghrébins, on peut citer Karim Tahar, Saloua ou Hadj M’hamed El Anka. Kamel Hamadi a surtout écrit des chansons kabyles pour son épouse en poursuivant lui-même une carrière de chanteur. Ses thèmes de prédilection sont la vie quotidienne des Algériens, les chansons d’amour ou même l’exil. Ainsi, il chantera en duo, avec d’autres égéries de l’immigration comme Hnifa (Yidem Yidem, 1951), ou Cheikh Nordine. Au cœur du quartier de Barbès, il côtoie les plus grands interprètes de la chanson de l’immigration : Dahmane El Harrachi lui jouera du banjo, Blond Blond l’accompagnera au Tar. Il se mettra lui-même au service de chanteurs comme Cheikh El Hasnaoui ou Amar Lachab. Sa rencontre avec l’oranais Ahmed Wahby lui permet de s’essayer au genre musical Asri (moderne oranais des années 50). Il rencontre également le tunisien Mohamed Jamoussi, qui influence également son répertoire. Il offrira à sa femme des succès en arabe comme « Ah, houa houa » (Lui, lui, je ne veux que lui, 1971), complainte d’amour pour son bien aimé, ou en français avec « Paris dans mon sac » (1966).

Les chansons de son répertoire portant sur l’ghorba (l’exil) sont nombreuses : El hak bel Rekba (L’Argent du voyage), Ya Ghorba (L’Exil), ou Rouh Rouhal (Pars, que Dieu te facilite l’exil) chante la nostalgie, la séparation mais aussi les difficultés pour immigrer en France. Son travail de poète et de mélodiste contribue grandement à l’obtention par Noura du premier disque d’or (1 million d’exemplaires chez Pathé Marconi) d’une chanteuse algérienne en France en 1971. Celui qui a plus de 500 chansons à son répertoire vit aujourd’hui, comme toujours entre la France et l’Algérie.

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Chérif Kheddam, le virtuose

Chérif Kheddam est né en 1927 dans la Commune de Bou Messaoud  en plein cœur des montagnes de Haute Kabylie. Il reste l’une des figures les plus importantes de la vie culturelle algérienne du XXe siècle. Le jeune Chérif est d’abord destiné à la psalmodie du coran  au sein de la Zaouia  (la confrérie) des Boudjellil. Cette vie en communauté précède celle de l’exil : après un passage par Alger, il s’installe en France en 1947, au lendemain de la Seconde guerre mondiale.  Dès son arrivée, il exerce le dur métier d’ouvrier fondeur dans la banlieue nord de Paris. Son amour de la musique pousse le jeune homme de 21 ans à prendre des cours d’harmonie et de solfège, le soir après l’usine. Il fréquente également les quartiers de Saint Germain des Près et de Saint Michel où la vie culturelle maghrébine est très animée.

Il y retrouve quelques compatriotes dans les cafés communautaires pour s’exercer à  la musique traditionnelle Chaabi. Cette période d’effervescence prend fin en 1954 avec le déclenchement de la guerre d’Algérie. Il décide alors de se lancer seul dans le monde la musique et produit à compte d’auteur et de manière anonyme son premier 78 tours, « Yellis Tmurthiw » (Fille de mon pays) en 1955. Celui-ci est diffusé dans le réseau des cafés communautaires et rencontre un franc succès. C’est en allant acheter des disques chez madame Sauviat, célèbre disquaire de musique orientale, qu’il apprend ce succès et lui précise qu’il en est l’auteur. Elle l’encourage alors à se présenter à Ahmed Hachlaf, responsable du département Arabe de chez Pathé Marconi.

Au cours de la décennie 1950, Chérif bénéficie de l’enseignement musical du tunisien Mohamed Jamoussi mais également de l’Algérien Amraoui Missoum, qui est impressionné par sa maîtrise du langage de la musique alors que la plupart des artistes maghrébins ne l’écrivent pas. Il  joue du luth mais également de la mandole et du piano.  En 1959, il complète sa formation en apprenant l’harmonie auprès de Fernand Lamy, inspecteur des conservatoires de France.

Chérif Kheddam reste celui qui a modernisé à plusieurs niveaux  la chanson kabyle : tout d’abord, au point de vue musical, en introduisant des instruments à vent ainsi que des rythmes inspirés de la Rumba, du Chachacha ou de la musique classique occidentale. Ensuite, par les thèmes qu’il aborde dans ses chansons. Le poète n’hésite pas à chanter la belle Nadia et à bousculer les codes de l’expression poétique kabyle. Il dépasse alors le seul thème de l’exil pour chanter le quotidien des Algériens et reste un artiste engagé.  En 1959 toujours, sa chanson « Amis Alablul » (Le fils indigne) ne passe pas le comité de censure, contrairement à  « Djurdjura » (Gloire à nos montagnes) en 1958 et « Atsalimagh fellaoun » (Salut à mes frères) en 1961. Avant de rentrer en Algérie en 1963, il enregistre sa chanson d’amour « Alemri » (Ô miroir), son plus grand succès à ce jour, dans les studios de l’ORTF accompagné du grand orchestre de l’Opéra Comique.

Il occupe ensuite un poste de conseiller au sein de la Radio Télévision Algérienne. C’est en 1965, qu’il y découvre la jeune chanteuse Nouara, dont il sera le mentor. Il écrit alors des chansons pour elle qui lui permettront d’accéder au succès. Après une période plus calme, il fait son retour en 1975, grâce à Ahmed Hachlaf qui le contacte pour travailler à nouveau avec lui. Il continuera pendant ces nombreuses années à être très apprécié en France et en Algérie et remplira même en 1996, la salle du Palais des congrès de Paris à l’occasion de ses 50 ans de carrière.

Naïma Yahi

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